Gnome, cet incompris !

Comprendre la philosophie et l'usage de Gnome

J'ai assisté récemment à une discussion à propos des environnements de bureau libres, tels que KDE, Gnome, XFCE, …

Gnome fait probablement partie des environnements qui font le plus matière à débat, très probablement parce qu'il est incompris. Je vais tenter ici d'expliquer pourquoi.

Changement de paradigme

L'incompréhension vient, à mon sens, du changement de paradigme qui n'a pas été perçu de la même façon par tous.

Contrairement à KDE ou XFCE, Gnome ne repose pas sur la vision habituelle issue du monde Windows, avec des menus déroulant et des icônes.

Cette vision issue du monde Windows est très visuelle et très efficace. Si efficace qu'elle fait aujourd'hui encore référence. La plupart des environnements de bureau populaires reposent sur ce principe… Excepté Gnome.

Gnome fonctionne selon une représentation abstraite de workflows. Il s'agit non pas d'une représentation visuelle, mais d'une représentation spatiale. Et, lorsqu'on est habitué à voir des objets concrets sur un écran avec des opérations associées, ce changement de paradigme peut être très perturbant.

Qu'est-ce qu'un workflow ?

Un workflow, flux de travaux ou encore flux opérationnel, est la représentation d'une suite de tâches ou d'opérations effectuées par une personne, un groupe de personnes, un organisme, etc. Le terme flow (« flux ») renvoie au passage du produit, du document, de l'information, etc., d'une étape à l'autre. (Source : Wikipedia)

Dans le cas de Gnome, l'exécution de l'enchaînement des tâches, le pilotage d'un worflow, se traduira par des actions à la souris mais, surtout, au clavier.

Ceci est la grande force de Gnome : pouvoir faire tout (ou presque) à partir du clavier, sans l'aridité habituelle des interfaces textuelles pilotables au clavier. Il est pensé avant tout pour les power users "esthètes".

Après l'installation, Gnome se traduit par une interface épurée et, surtout, plus d'usage de la souris et de clavier que les autres environnements de bureau, ce qui requiert un apprentissage – comme pour n'importe quel nouveau produit. Cette courbe d'apprentissage en rebute certains.

Cependant, les bureaux qui se pilotent entièrement au clavier sont encore moins accessibles au commun des mortels. Gnome possède la particularité de pouvoir se piloter également à la souris pour rester accessible à ceux qui préfèrent la souris au clavier et ainsi d'avoir le choix et de pouvoir apprendre à le manœuvrer à leur propre rythme.

Les critiques sont relatives à un autre paradigme

La plupart des critiques faites à Gnome le sont par rapport à sa personnalisation. Par défaut, il n'y a presque rien pour le personnaliser. Le nombre de paramètres modifiables est très restreint… pour une bonne raison : Gnome est un bureau adapté aux workflows. Le besoin de configuration pour l'affichage, ajouter des indicateurs ou changer son comportement fait partie d'un paradigme WIMP, donc totalement différent.

L'espace de Gnome se construit dans la tête et pas sur l'écran, sous la forme d'actions, de mouvements et de fluidité, et non de couleurs, d'objets graphiques et d'icônes. Le clic n'est pas une finalité en soi – mais une étape parmi d'autres dans un worflow.

En conséquence de quoi, ce nouveau paradigme induit une confusion et de cette confusion naissent des attentes qui reposent sur un autre paradigme. Lorsqu'on ajoute des extensions pour forcer son fonctionnement dans un sens, on le fait avec l'idée de le faire ressembler à un bureau WIMP, un bureau visuel, mais pas spatial.

Les forks de Gnome existent pour retrouver le paradigme WIMP, tel que celui-ci l'était jusqu'à Gnome 2.

Ainsi, ajouter des boutons pour réduire les fenêtres ou les agrandir, est encore du WIMP. Gnome n'a pas besoin de fermer les fenêtres – même s'il le permet en cliquant sur le bouton droit de la souris – simplement parce qu'il n'en n'a pas besoin; il suffit de changer d'espace de travail. Il les crée d'ailleurs dynamiquement et à l'infini pour cette raison-là. Nous avons encore cette habitude à la Windows, d'avoir tout sur un seul bureau et de devoir passer d'une application à une autre dans un espace restreint toujours visible. Or Gnome oblige à se représenter les choses dans un espace virtuel, potentiellement infini, nécessitant un peu plus de mémoire humaine et un contrôle de la souris ou du clavier pour passer de l'un à l'autre.

Il en est de même pour la disposition des icônes sur le bureau, une habitude de l'ancien temps et qui aboutit généralement à un « bazar » lorsqu'il prolifère. L'absence d'icônes sur le bureau Gnome n'est pas une limitation, mais une stratégie du « clean desk = clear mind » pour minimiser les interruptions entre le workflow et l'utilisateur. Une icône sur le bureau nécessite de réduire les fenêtres pour y accéder et donc d'interrompre le workflow. De la même façon, la limitation par défaut des notifications reste dans la continuité de la non-interruption de workflow par la non-interruption de son utilisateur. Toutes les petites notifications dans la barre de notifications ou sur le bureau sont autant de limitations à la fuidité du workflow par la captation de l'attention de l'utilisateur pour toutes ces petites choses qui clignotent.

De la même façon, si la barre des tâches – nommée Dash sous Gnome – se situe par défaut à gauche et non en haut ou en bas comme on pourrait l'y attendre, c'est parce que le workflow se déroule verticalement. De la même façon, les bureaux virtuels sont placés à droite; le reste, mobile et paginé, se déplace de bas en haut ou de haut en bas. Notons que le sens de workflow a changé dans Gnome 40 pour passer en horizontal, ce qui fait que les bureaux virtuels sont en haut et le Dash en bas. Cependant, ce changement de sens, s'il semble une révolution pour beaucoup, ne change en rien la spatialité du workflow. C'est la continuité du flux qui compte et non son sens, la disposition des éléments n'étant qu'une suite logique pour ne pas « heurter » le sens du flux.

Le plus gros défaut de Gnome

La confusion induite par l'interface esthétique

Somme toute, les reproches qui sont faits à Gnome le sont parce qu'il ressemble pourtant trop à un bureau WIMP, ce qui crée une confusion.

Mais Gnome n'est pas un bureau classique, il faut se sortir cela de la tête. Si nous devions le comparer, il faudrait plutôt le rapprocher de i3, mais dans une version plus graphique. Et c'est justement parce que les designers ont trop bien réussi à le rendre graphique qu'il y a cette confusion.

Tout comme Gnome, i3 se pilote au clavier, et le paramétrage est minimal, il faut tout configurer dans les fichiers – selon la philosophie UNIX : tout est fichier. Et pourtant, personne n'est choqué par i3 parce que ce dernier annonce la couleur de but en blanc, contrairement à Gnome. Personne ne s'étonnera de la courbe d'apprentissage d'i3.

C'est l'apparence de Gnome qui lui confère un air de déjà vu et active en nous un ensemble de mécanismes et de réflexes qui n'ont plus lieu d'être. Il oblige à sortir de notre zone de confort.

Le point de départ à une nouvelle façon de vivre

Sortir de sa zone de confort implique de l'humilité. Or, cette humilité se heurte au fondement même de l'informatique. L'outil doit permettre de faire – il est très rare qu'un outil soit conçu pour nous empêcher de faire –; la machine doit se plier à la volonté humaine. La machine, et le système d'exploitation qui permet de l'utiliser, doit donc être le reflet de ses capacités infinies. Le résultat n'est que l'expression de notre volonté.

Or, Gnome ne permet pas de tout faire. Il n'est pas prévu pour se plier à notre volonté. Ça peut être frustrant, notamment lorsqu'on est resté avec une habitude héritée des interfaces traditionnelles.

Pour une fois, c'est l'interface qui nous impose sa volonté. Elle nous pose des limites et des limitations qui se heurtent à notre volonté et provoque notre humilité. Tout dépend alors de notre façon d'y répondre.

On peut décider de passer outre et de chercher à retrouver ses marques, ou l'on peut prendre un instant pour réfléchir à la façon dont d'autres ont pensé le sujet et en profiter pour l'intégrer en soi.

Ainsi, on peut décider de mettre ses icônes sur son bureau, comme on l'a toujours fait, ou bien profiter d'une nouvelle interface, d'un nouveau paradigme, pour changer sa façon de faire, d'apprendre à faire le ménage sur son bureau virtuel, acquérir cette discipline et même décider d'appliquer la méthode aux autres dimensions de sa vie quotidienne, comme une nouvelle discipline de vie, le point de départ d'une réflexion sur soi et sa façon de se comporter pour, finalement, se laisser envahir par le « clean desk » comme une nouvelle façon de vivre.

Gnome s'intègre alors parfaitement dans cette nouvelle dynamique.

Choix de l'environnement graphique : le paramètre le plus important

C'est pourquoi, je pense que le choix d'une distribution Linux doit d'abord considérer l'esthétique et le paradigme de fonctionnement sous-jacent avant toute considération technique.

Il faut réfléchir à votre usage et vos réflexes et estimer ensuite si vous recherchez plutôt du WIMP ou du worflow. Si vous préférez le WIMP, alors vous serez très probablement déçu par Gnome, le trouvant peu pratique et pas assez configurable.

Il n'est pas peu pratique; juste pas adapté à votre façon de travailler. Mais il existe une grande quantité d'environnements de bureau qui feront votre bonheur.

En attendant, pour ceux qui sont à l'aise avec le workflow, cet environnement est tout simplement un bonheur. Il est le plus esthétique des bureaux textuels.