L'importance des devoirs à la maison

Apprendre sur soi-même et non par soi-même

Je suis récemment tombé par hasard sur un nouveau langage de programmation qui m'a fasciné et passionné. Il m'a obligé à me replonger des matières que j'avais pratiquées il y a longtemps et que j'avais mises de côté parce que je n'en avais pas besoin au quotidien.

La problématique de l'apprentissage d'une nouvelle connaissance universitaire pose le problème plus large de l'apprentissage et du travail personnel. Bien malgré moi, je me suis retrouvé confronté au problème du devoir à la maison, avec un exemple très concret me touchant personnellement.

Performance et perroquet

Habituellement, lorsqu'un sujet m'intéresse, je m'inscris à un cours en ligne, je suis le cours, je fais les exercices. Même si j'ai toujours fini les cours, je n'avais jamais eu de réel enjeu. Je suivais les cours en auditeur libre. Mais dans le cas de ce langage de programmation, j'avais l'intention d'obtenir en plus un certificat. Et j'ai donc dû mettre la main à la poche. Pas une grosse somme, mais suffisante pour me motiver à aller jusqu'au bout, encore plus motivé qu'auparavant.

Même si je n'ai eu aucun problème particulier pour achever les exercices et obtenir le certificat avec plus de 85% de performance, j'ai bien senti malgré tout que je ne maîtrisais pas le sujet de fond. Si j'avais eu de très bonnes performances, j'en étais le premier étonné. Je n'avais fait que répéter, reconnaître des contextes et des situations vus dans les cours et les reproduire en appliquant les bonnes équations, elles-mêmes retrouvées en raisonnant par élimination. Mais je sentais bien que je ne comprenais pas la signification exacte de ce que je faisais.

Je tombais donc sur un paradoxe : j'obtenais une bonne note, sans réellement comprendre pourquoi. Et ça me laissait un arrière-goût amer dans le fond de la gorge. J'avais l'impression de ne pas mériter ces certificats. Je savais que si je devais utiliser ces nouvelles connaissances dans un contexte réel, je me retrouverais démuni, sans savoir quoi faire et ma performance tombait alors à zéro.

La bonne performance à un examen n'implique pas qu'on ait compris, juste qu'on a assez de mémoire pour se souvenir des formules complété par une reconnaissance suffisante des motifs contextuels pour savoir quand les appliquer.

Comme je sentais que je maîtrisais pas mes propres connaissances, j'ai alors décidé de faire ce tout ce qu'il était possible de faire pour comprendre ce qui m'échappait avec pour conséquence un travail personnel. La bonne nouvelle est que je savais ce que je ne comprenais pas. Je savais donc quoi travailler. Je devais juste retrouver un à un les concepts et m'assurer de tous les comprendre, c'est-à-dire être capable de les expliquer avec mes mots à moi.

À partir de chaque équation, je devais être en mesure d'expliquer le sens de chaque terme, la signification et l'objectif du calcul.

Ça voulait dire aussi qu'étant le seul capable de comprendre ce que je ne comprenais pas, je ne pouvais compter que sur moi pour les identifier et les travailler encore et encore, jusqu'à les maîtriser parfaitement.

Compréhension et encodage

Dans mon cas, je me rendais compte que ma plus grosse difficulté était de suivre des cours donnés par des professeurs qui maîtrisaient leurs sujets et donc le vocabulaire – qu'on appelle généralement le «jargon» – qui s'y rapporte. Ce vocabulaire fait le lien entre les mots employés, un contexte et une siginification. Et il me manquait ce lien. En clair : je comprenais les mots, mais je ne comprenais pas le sens.

La majeur partie des problèmes de compréhension proviennent de l'encodage. Nous ne sommes pas capables d'associer des sons à des mots, eux-mêmes reliés à des significations. Et toute la difficulté est d'apprendre aux élèves à acquérir les liens afin que leur cerveau soit capable de les intégrer et de les stocker.

La vitesse de cet apprentissage dépend de chacun car nous avons chacun une histoire différente, un vocabulaire différent, des significations sous-jacentes différentes. Et toute l'astuce consiste avant tout à comprendre la compréhension de l'autre et de lui expliquer avec ses mots à lui.

L'incompréhension n'est pas forcément un problème d'intelligence. On peut être très intelligent, mais mettre du temps à comprendre. Tout dépend du décalage entre les deux référentiels.

Comme le référentiel de chaque élève est différent et que la vitesse d'apprentissage est propre à chacun, il est extrêmement difficile de caler la vitesse d'une classe sur l'élève le plus lent. C'est encore possible dans une petite classe lorsque les concepts sont assez simples, mais lorsque les concepts sont du niveau universitaire et que le moindre décalage nécessite des heures entières de remise à niveau, il n'y a que deux possibilités : l'étude ou le travail à la maison.

L'étude consiste en des heures supplémentaires dans l'établissement, avec l'aide d'un professeur ou d'un auxiliaire. Le travail à la maison consiste généralement en des devoirs à faire chez soi et à rendre au professeur.

Le devoir à la maison possède des qualités uniques que les autres méthodes d'apprentissage ne possèdent pas.

Le pouvoir du devoir à la maison

Le plus gros point faible de la mémoire est l'apprentissage. Cet apprentissage est extrêmenent fragile. Tout comme le sommeil, on ne peut pas se contenter de reprendre là où où en était lorsqu'il est interrompu. Il faut reprendre au début du cycle. Ça implique une perte de temps : plus l'on est interrompu durant cette phase, plus on doit reprendre souvent, plus on met de temps à apprendre.

Or, dans un environnement fréquenté par d'autres personnes, c'est autant de chances d'être interrompu par des gens qui parlent – ou qui nous parlent –, avoir l'attention attirée par des bruits ou des éclats de voix. Autant de petites interruptions.

De la même façon, la verbalisation peut être une méthode d'apprentissage à la fois pour valider que le cours est connu et qu'on comprend bien les concepts en tentant de les reformuler. Sauf que réciter à voix haute peut perturber les autres dans leur apprentissage.

L'apprentissage passe donc généralement par une phase de travail personnel qui nécessite de s'enfermer – en ermite – afin d'apprendre par soi-même, à son rythme, sans être interrompu. Et ce temps nécessaire est propre à chacun. S'il n'est pas respecté, alors l'apprentissage est incomplet. Le travail de groupe – comme on le voit de plus en plus – ne résout pas cette problématique, bien au contaire. Il sape littéralement le cheminement du raisonnement personnel pour mémoriser et pour comprendre car il empêche le plus lent d'aller à son rythme l'interrompant dans sa réflexion.

La seule possibilité qu'il reste et donc de s'enfermer chez soi, dans un lieu bien isolé, bien tranquille, sans perturbations – donc exclure les lieux dits «de vie» – afin de disposer de sa caverne pour achever son apprentissage et, ce qui est encore mieux, apprendre à apprendre.

Apprendre à apprendre

Apprendre à apprendre, ça n'est pas construire son propre savoir en allant chercher les connaissances au bon endroit. Ça, c'est très accessoire.

Apprendre à apprendre, c'est avant tout apprendre à repérer quand on ne maîtrise pas une connaissance et qu'on doit pousser ses investigations et ses connaissences dans leurs limites; c'est apprendre à ne pas tomber dans ses propres pièges, ses propres biais; c'est avant tout comprendre comment notre mémoire fonctionne afin de trouver le contexte dans lequel on apprend le mieux, de façon plus optimale; c'est apprendre à gagner en autonomie et en discipline, à faire des choses non pas parce qu'un autre nous l'a demandé – et que nous serons sanctionnés par une note – mais trouver la motivation au fond de soi grâce à sa curiosité ou la sensation étrange de ne pas comprendre – ou les deux.

La connaissance est ici très accessoire, elle est juste un exemple, un exercice, une mise en situation pour nous mettre à l'épreuve et toucher du doigt nos propres limites et les dépasser, notamment grâce à une bonne discipline. Et une discipline n'est bonne et valide que si elle continue de fonctionner en dehors de toute pression extérieure. La volonté d'apprentissage passe avant tout pas sa soif de connaissance et sa volonté intrinsèque de maîtriser son sujet, non pas parce qu'on nous le demande, mais parce qu'on l'a soi-même décidé.

Apprendre à apprendre, ça  n'est pas construire son propre savoir, c'est constuire sa propre discipline d'apprentissage.

Conclusion

Supprimer les devoirs à la maison, c'est choisir le chemin le plus facile – plus facile est le chemin qui mène au côté obscur –; c'est supprimer la possibilité d'apprendre non pas par soi-même, mais apprendre de soi-même; c'est supprimer la chance unique de pouvoir aller au fond des choses. En supprimant les devoirs à la maison, on prend le chemin facile qui multiplie les possibilités d'interruption, menant par la même occasion à un apprentissage incomplet, une maîtrise imparfaite, à une mémoire défaillante et moins stable sur le long terme.

Le devoir à la maison est un moyen détourné pour apprendre à travailler sur soi-même, à acquérir une discipline, gagner en autonomie et en indépendance. La discipline est la voie la plus difficile mais, combinée à là maîtrise, elle est aussi la seule voie possible qui mène à la liberté.

Les devoirs à faire à la maison ne sont qu'un moyen de forcer ce processus et, quoi qu'on en dise, ils restent la meilleure méthode d'apprentissage. Les supprimer – sujet qui revient de façon récurrente dans le monde de l'éducation, soit pas les enseignants, soit par les parents – ne serait que très contre-productive. N'oublions pas que les méthodes d'enseignement proviennent pour la plupart de nos parents, qui les tenaient de leurs parents… Ces méthodes ont été éprouvées par des siècles d'usage. S'il existait de meilleures méthodes, nous le saurions depuis longtemps.