Luttons contre la dictature (du stylo rouge)

Comment le stylo rouge ruine l’esprit d’entreprise

Aussi loin que je me souvienne, mes devoirs scolaires – et autres contrôles de connaissance – étaient corrigés à l’encre rouge par le professeur. C’est une convention : les devoirs sont corrigés en rouge. Ce n’était pas un traitement de faveur, mes camarades y avaient droit et mes parents avant eux, leurs parents, etc. C’est une convention qui se transmet de génération en génération.

Cette convention a tellement traumatisé les élèves que, devenus parents aujourd’hui, certains demandent l’abolition du système de notation, arguant qu’une mauvaise note décourage l’élève plutôt que de l’encourager.

D’un point de vue technique et psychologique, ce n’est pas la notation qui pose problème. Et si nous voulons garder un système d’instruction performant, nous devons conserver un système de notation qui permet d'avoir une mesure plus ou moins «scientifique» de la progression et des points faibles à travailler.

Non, ce qui décourage l’élève n’est pas la note obtenue, mais l’encre rouge.

L'encre rouge :  l'ancrage dans l'échec

Lorsqu’un professeur note une copie, il utilise l’encre rouge pour souligner les fautes et les erreurs puis, tout compte fait, il attribue une note au regard du travail rendu. Fatalement, lorsque nous avons notre copie dans les mains, nous ne voyons que du rouge. Plus ou moins de rouge en fonction du nombre de fautes, mais du rouge quand même et rien d’autre pour équilibrer.

Et c’est ça qui pose problème. Car cette seule façon de souligner leurs erreurs sans jamais – ou très rarement – souligner les points forts laisse donc une impression déséquilibrée d’échec total.

On souligne ce qui est faux, mais jamais ce qui est juste.

La conséquence est une perte de confiance en soi, l’idée de passer pour un nul ou un imbécile. Et cette impression se propage dans tout ce que nous faisons.

Pis, à force de ne voir que du rouge, nous nous y habituons – par réflexe de survie – et nous finissions par acquérir l’habitude de nous focaliser sur le rouge… sans jamais voir autre chose. Nous finissons par nous focaliser sur les échecs plutôt que sur les succès.

L'ancrage psychologique

Pour illustrer mon propos, imaginons que vous décidiez de vous acheter une automobile. Après mûre réflexion, vous optez pour une Ford Focus de couleur blanche. Vous vous rendez chez le concessionnaire, vous commandez le véhicule, vous payez un acompte et vous repartez chez vous, attendant impatiemment durant les quelques jours qui vous séparent de la livraison du produit de votre achat. Et durant ce laps de temps – et même après – vous réalisez à quel point il y a beaucoup de Ford Focus blanches dans les rues.

Étant donné que vous avez dépensé de l’énergie cognitive pour réfléchir au sujet et faire un choix, votre cerveau est entré dans un état actif, appelé ancrage, qui vous prédispose à percevoir le monde selon la façon dont il a été ancré ou, dans un langage plus courant, sensibilisé. Vous portez donc attention sur les Ford Focus car vous vous y êtes momentanément focalisé. Et de cette focalisation naît une surestimation statistique d'une occurence.

Cette notion d’ancrage est extrêmement importante car elle est puissante. Nous marchons moins vite si nous avons été ancré sur un sujet lié à la vieillesse, etc. C’est tellement puissant qui ça influe sur notre comportement… et notre façon de voir le monde.

Voir l'échec conduit à l'échec perpétuel

Si nous nous focalisons sur l’encre rouge, sur les défauts plutôt que les qualités, alors nous aurons tendance à ne voir que les défauts et donc à abandonner plus facilement car il n’y a rien pour assurer le succès de l’opération et plus, largement, de sa propre vie – et celles des autres.

Ancrés dans l’échec, nous n’avons pas d’autre choix que de voir l’échec partout, y compris notre propre vie, sans avoir le réflexe de relativiser en soulignant les succès, parce que nous n’avons pas été habitués à le faire.

Et se focaliser sur l'échec nous déconcentre de la réussite. Il est alors plus difficile de réussir et plus facile d'échouer. Et le cercle vicieux s'installe : lorsque nous sommes psychologiquement préparés à échouer, nous nous préparons à ne pas trop dépenser inutilement de l’énergie pour une cause déjà perdue d’avance, et dépenser toute notre énergie à préparer des plans de secours plutôt que nous atteler à réussir. 

Le pouvoir de l'encre verte

Le seul moyen de s’en sortir est d’utiliser la même capacité d’ancrage pour inverser la tendance en se focalisant sur ce qui est bon, pas seulement sur ce qui est mauvais. Il convient donc de laisser – et pas d’enlever – l’encre rouge, mais d’ajouter l’encre verte pour souligner ce qui est bon.

L’encre rouge est nécessaire pour avancer et noter la progresser, sans se voiler la face. Mais l’encre verte permet de rééquilibrer la Force en jusqu’à ce qu’elle prenne le pas sur les habitudes négatives.

Ou alors, lorsque c’est vraiment nécessaire, supprimer complètement l’encre rouge, mais uniquement lorsque c’est à la discrétion de la personne qui est à la fois le sujet ET l’objet.

L’introduction de l’encre verte pour mettre en avant les points forts permettra de motiver les élèves en leur indiquant à quel point ils sont bons – ou pas si mauvais –, qu’ils progressent et surtout, en identifiant les points forts, les aider à identifier un voie ou une passion – et travailler les points faibles avec plus de sérénité.

Le rôle du parent est de s’assurer que l’équilibre est respecté et, le cas échéant, souligner en vert tous les bons points du devoir de l’enfant. Il appartient à chaque parent de pousser ses enfants vers les haut – donc « élever » – plutôt que les enfoncer ou de laisser faire.

Dans la vie quotidienne, voir les bonnes choses aident à se focaliser sur les réussites et, psychologiquement préparés à réussir, nous réussissons mieux.